Selon certains, le livre serait à l’agonie. Bientôt, l’informatique et l’écran remplaceront le livre! Et pourtant… l’édition ne s’est jamais mieux portée : singulier paradoxe. S’il est vrai que le milieu du livre se métamorphose, l’une des répercussions de ces changements est sans contredit la prolifération des éditions artisanales. À mi-chemin entre l’auto-édition et l’atelier de jadis, les éditions à petit nombre (cinq, dix, vingt exemplaires ou, parfois, à tirage unique) se répercutent sur la reliure d’art. Plusieurs relieurs peuvent relier le même ouvrage où chacun apporte sa touche personnelle. De plus, il n’est pas rare maintenant de voir le relieur contrôler l’ensemble du processus, de l’écriture à l’édition, de la fabrication de certains papiers de garde à la reliure finale.
De même les matériaux employés sortent des sentiers battus. Les peaux exotiques côtoient les supports inattendus comme le liège ou le métal. Les textures des papiers, les fibres des tissus, tout cela concourt à donner un aspect unique aux reliures d’art.
Par leur exécution également, les reliures se distinguent par leur auto-référentialité, c’est-à-dire que les techniques utilisées, comme la couture apparente, font référence à l’histoire de la reliure. L’objet-livre parle non plus uniquement du contenu du livre mais aussi de son histoire propre, inscrite dans la durée.
En cela, les relieurs d’art prennent de plus en plus leur place à part entière en tant qu’artiste. Ils se distinguent par leur démarche artistique, leur quête esthétique, et insufflent de la sorte un statut novateur à la reliure d’art. Ces nouvelles formes vont, quasi imperceptiblement, dépasser le livre.
Guy de Grosbois, 1999
(Texte paru dans Le Maître imprimeur de novembre 1999, Vol 63 – no 9)